Cet article La vente des organes, pour sauver des vies ? de Contrepoints - Journal d'actualité en ligne est paru initialement sur Contrepoints - Journal d'actualité en ligne
Par Edouard H.
Imaginez que vous deviez manger un scarabée. Vous et moi, nous n’en mangerions probablement pas par dégoût.
Supposez qu’un grand nombre de Français doivent aussi ressentir ce même dégoût. Supposez que ce soit le cas pour 10 millions de Français. Mais imaginez maintenant qu’il y ait un moyen de supprimer ce dégoût. Tout ce qu’il suffit de faire, c’est laisser 200 personnes mourir. Si 200 personnes meurent, nous n’aurons plus à être gênés par ce dégoût.
Que feriez-vous ? Échangeriez-vous ces 200 vies contre la fin de ce léger dégoût ressenti par 10 millions de français ?
C’est ce que nous faisons chaque année en France. Chaque année en France, nous laissons mourir environ 200 personnes plutôt que d’avoir à vivre avec du dégoût. D’après les derniers chiffres de l’Agence de la Biomédecine pour 2012, 8 942 personnes sont en attente d’une greffe de rein contre 5 942 en 2006. La France connaît une pénurie de reins, et cette pénurie a un coût humain : en 2011, 200 personnes sont mortes dans l’attente d’une greffe rénale.
La France n’est pas la seule dans ce cas, la pénurie est presque partout présente dans le monde. De nombreuses mesures ont déjà été tentées sans succès. Les dons altruistes, malgré les campagnes de sensibilisation, ne suffisent pas. En France et dans d’autres pays, sans opposition formelle par déclaration dans le fichier du Registre National des Refus aux prélèvements ou par questionnement des proches, le don d’organe en cas de mort prématurée est supposé comme accepté de fait, et là encore ça ne suffit pas.
Ce problème a une solution qui serait d’autoriser un marché d’organes. Permettre aux gens de vendre un de leur rein est une solution qui est expérimentée par l’Iran depuis 1988. En Iran où le marché est autorisé et régulé par l’État, il y a une liste d’attente, mais personne n’attend pour recevoir un rein. A l’inverse, les gens attendent pour pouvoir vendre leur rein.
Cette idée de marché d’organes, popularisée par le prix Nobel d’économie Gary Becker en 2007 dans un papier « Introducing incentives in the market for live and cadaveric organ donations », suscite beaucoup de dégoût malgré les preuves de son succès. Et l’interdiction a un coût bien réel : 200 personnes sont mortes en 2011 pour alléger l’esprit des français.
Pour toutes les autres inquiétudes, il y a une solution simple. Si on est inquiet de l’exploitation économique qui forcerait les pauvres à vendre leur rein, le marché pourrait être restreint aux seules personnes au revenu supérieur à un certain montant.
Si on a peur que certaines personnes fassent un choix peu informé dans la hâte et le regrettent plus tard, une période d’attente minimum d’un an associée à des cours obligatoires pourraient être institués. Un test pourrait être créé pour s’assurer que les personnes sont bien renseignées.
Comme c’est le cas aujourd’hui pour les dons, on pourrait s’assurer que la personne n’a pas subi de coercition dans son choix.
Si on craint que seules les personnes riches puissent s’offrir un rein, on pourrait garder le système actuel de distribution des reins. L’État pourrait payer pour les reins. L’opération serait financièrement tenable car on économiserait des sommes énormes par rapport à la dialyse.
Enfin, si c’est l’utilisation de l’argent qui gêne ou le symbole de la chose, la rémunération pourrait être sous la forme d’un crédit d’impôt ou d’une bourse pour les études. On pourrait même obliger que le bénéficiaire de la bourse soit une personne autre, de telle sorte que l’altruisme ne disparaît pas : vous ne vendez pas votre rein pour votre bénéfice financier, vous échangez un don de vie contre un don d’éducation pour quelqu’un d’autre.
La liste pourrait continuer longtemps, on pourrait imaginer d’autres correctifs pour d’autres inquiétudes. Ne reste alors plus que la légère gêne au fond de votre estomac. 200 personnes sont mortes en 2011 faute de greffe de rein et la situation ne cesse de se dégrader d’année en année, n’est-il pas temps d’aller au delà de ce dégoût pour trouver des solutions courageuses à cette tragédie ?
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Article librement inspiré de « What If You Could Save 250 Lives By Feeling a Little Disgusted? » de Peter Jaworski.
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